10 août 2007

 

Les handicaps d'Hillary

Hillary Clinton est largement en tête de tous les sondages pour la primaire démocrate. Et les récentes erreurs de Barack Obama ne font qu'amplifier la tendance.

Pourtant, je doute fortement de sa future nomination, car je pense qu'elle s'inflige, par son attitude, deux handicaps difficiles à surmonter sur deux sujets particulièrement sensibles: la guerre en Irak et les relations entres la classe politiques et les lobbies.


Premièrement, sur la question cruciale de la guerre en Irak. Comme ses deux principaux rivaux, Hillary considère aujourd'hui que cette guerre était une erreur. Mais contrairement à Obama et Edwards elle ne tire pas les conséquence d'une telle position. Pour Obama, la situation est facile, il est l'un des très rares sénateurs à avoir voté contre le guerre en 2003 (rappel: aux Etats-Unis le président a besoin de l'autorisation du congrès pour envoyer des troupes combattre à l'étranger) Pour Edwards, c'est plus difficile puisqu'il a voté en faveur de la guerre en 2003, mais il s'en est sorti honorablement en regrettant publiquement son vote d'alors et en présentant ses excuses. Hillary Clinton a également voté en faveur de la guerre, mais elle refuse de reconnaître que ce vote était une erreur. Elle commet ainsi une triple faute:

1. Elle défend une position insoutenable: qui peut comprendre que la guerre était une erreur, mais que voter pour la guerre n'était pas une erreur?

2. En argumentant pour défendre sa position, elle s'enfonce. Elle affirme en effet que son vote est la conséquence de son expérience de first lady. Elle se souvient que Bill Clinton avait eu des difficultés immenses pour obtenir du congrès l'autorisation d'intervenir au Kosovo, et, en 2003, elle ne voulait pas mettre le nouveau président dans une situation analogue. C'est une argumentation catastrophique car cela revient à dire que le congrès doit renoncer à son rôle historique de co-détenteur du pouvoir et s'effacer devant le président. C'est en contradiction parfaite avec la lettre et l'esprit de la Constitution américaine, et les pères fondateurs doivent se retourner dans leur tombe quand ils entendent cela. Autrement dit, c'est une conception bushiste de la fonction de président.

3. En refusant de reconnaître son erreur, elle se prive d'un angle d'attaque simple et dévastateur contre ces pauvres candidats républicains qui sont obligés de faire semblant de soutenir Bush tant que la primaires républicaine n'est pas finie (le virage sur l'aile du vainqueur de la primaire au lendemain de sa nomination risque de rester dans les annales du retournement de veste...) En effet, elle pourrait simplement dire: "je me suis trompée car j'ai été trompée, comme l'ensemble du peuple américain, par les mensonges de l'administration Bush-Cheney. On nous disait que Saddam Hussein avait des armes de destructions massives, c'était faux. On nous disait qu'il y avait des preuves de collusion entre Saddam Hussein et Al Qaeda, c'était faux..."

Deuxièmement, sur la question de l'attitude à adopter face aux lobbies. Vu de France, cela peut paraître insignifiant par rapport à la question irakienne, mais quand on connaît le fonctionnement de la politique à Washington on comprend assez vite que c'est peut-être encore plus important! Il n'y a pas, ici, de financement public des campagnes électorales. Il n'y a pas non plus de plafond de dépense électorale. La collecte de fonds auprès de particuliers ou de groupes d'intérêt est donc un enjeu crucial de la vie politique. Ainsi, un sénateur passe une bonne partie de son temps, tout au long de son mandat, à rechercher des sponsors pour sa prochaine campagne. Avec les compromissions que cela entraîne inévitablement... Les compagnies d'assurance, les entreprises pharmaceutiques, les pétroliers, les syndicats agricoles, les marchands d'armes... financent massivement les campagnes électorales de politiciens des deux camps, avec les conséquences néfastes que chacun imagine sur le système d'assurance maladie, la lutte contre l'effet de serre, le protectionnisme agricole ou les dépenses militaires... et encore, je n'aborde pas ici les effets locaux de ce système, on y passerait la semaine!

Tous les candidats démocrates plaident pour un financement public des campagnes électorales pour en finir avec ce système. Bien entendu ce ne sera pas le cas en 2008, Bush, Cheney et leurs bons amis veillent au grain. Face à cette situation, John Edwards a pris une position radicale: il refuse tous financement en provenance des lobbies. Et il attaque ceux qui ne font pas de même. il peut se le permettre grâce à deux nouveautés: l'obligation de transparence qui permet de savoir qui reçoit de l'argent de qui, et la collecte de fonds par internet qui permet à un candidat populaire de financer une campagne de taille raisonnable (Edwards a collecté environ 25 millions de dollars depuis le début de l'année)

Obama a suivi l'exemple d'Edwards. Il aurait tort de s'en priver vue l'incroyable mobilisation de sa base de supporters. Mais Hillary Clinton refuse de s'engager sur cette voie. Ce faisant, elle commet, ici aussi, une triple erreur.

1. Elle s'éloigne de la base du parti démocrate qui en a plus qu'assez de voir comment sont prises les décisions à Washington. Par exemple, Edwards rappelait récemment qu'avant d'arrêter les choix cruciaux en matière de politique énergétique, le Vice-Président Cheney, qui n'est jamais très loin quand il s'agit de pétrole, a organisé des consultations à la Maison Blanche: il a reçu une fois l'ensemble des associations environnementalistes, et 40 fois les groupes pétroliers! Hillary Clinton perd en crédibilité en ne dénonçant pas ce système. Ironiquement elle est pourtant la mieux placée pour connaître le pouvoir de nuisance des lobbies: au cours du premier mandat de son mari, celui-ci lui avait confié le dossier de l'assurance maladie, avec l'objectif, conformément à ses promesses de campagne, d'aboutir à une assurance universelle. Les compagnies d'assurance privées et les entreprises pharmaceutiques avaient alors dépenser 100 millions de dollars en publicité et en lobbying pour faire échouer le plan Clinton. Avec le succès que l'on sait: le congrès avait enterré le projet, et une bonne partie des ambition de la First Lady avec lui.

2. Pire, lorsqu'elle est contrainte de se justifier, elle s'enferme dans des argumentations complètement bancales. Samedi dernier, par exemple, devant les 1500 bloggeurs réunis à Chicago, elle a justifier son attitude par une réponse en deux points: premièrement, certains lobbies représentent de "vrais américains" qui ont des préoccupations légitimes, et de citer le lobby des infirmières et celui des travailleurs sociaux. Deuxièmement tous ceux qui la connaissent peuvent témoigner qu'elle n'a jamais été influencée par les lobbies qui financent ses campagnes. Ce qui revient à dire, comme l'a brillamment souligné l'excellent Jon Stewart que, premièrement, les avis exprimés par les lobbies sont intéressants mais que, deuxièmement, Hillary Clinton se fait un honneur de ne pas en tenir compte... Ouch!

3. Et même si on reconnaît à Hillary une parfaite honnêteté (après tout, rien ne prouve le contraire) qui peut sérieusement croire que tous ces collègues parlementaires font preuve de la même vertu? Soyons sérieux deux minutes, si l'argent des lobbies n'influençait pas les choix des politiques, cela ferait longtemps que lesdits lobbies auraient cessé de financer les campagnes électorales! En refusant la seule façon crédible de combattre ce système, Hillary Clinton se trompe lourdement.

En conclusion, le chemin vers la nomination d'Hillary Clinton comme candidat démocrate risque donc de ne pas être le long fleuve tranquille prédit par certains. Elle donne trop d'angle d'attaque à ses rivaux. Elle s'enferme dans sa propre caricature de politicienne classique, alors que le pays attend le changement, des têtes et des méthodes. Enfin, ce qui est peut-être le plus grave pour elle, les électeurs démocrates pourraient estimer qu'avec ces deux handicaps qu'elle s'impose elle-même, Hillary se prive toute seule de deux armes redoutables contre le futur candidat républicain. Or pour 2008, les démocrates cherchent avant tout un vainqueur...



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